Un mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, qui a frappé Mayotte en décembre 2024, l’archipel a de nouveau été touché par des intempéries. Le week-end du 11 janvier 2025, de fortes pluies ont contraintMétéo France à placer l’île en vigilance rouge, aggravant une situation déjà critique.
La présidente du groupe Rassemblement National à l’Assemblée nationale, Marine Le Pen, s’est rendue sur place la semaine du 6 janvier, déclarant vouloir "être la porte-parole de l’île". Avant elle, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et le ministre des Outre-mer, ManuelValls, avaient visité Mayotte. Lors de leur déplacement, ils ont réaffirmé la nécessité de renforcer la lutte contre l’immigration illégale sur ce territoire, surnommé : la première maternité de France.
L’île fait face à une crise migratoire sans précédent, qui suscite l’inquiétude des responsables politiques. Certains estiment que les défis rencontrés à Mayotte pourraient préfigurer des enjeux similaires pour lamétropole dans les années à venir.
Cette crise migratoire s’ajoute à une situation économique désastreuse et à des infrastructures publiques gravement dégradées. L’eau potable illustre parfaitement ce délabrement : en 2023, l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne avait interdit l’utilisation de l’eau du robinet en raison de sa contamination. Pour pallier cette situation, des convois d’eau en bouteille avaient été acheminés depuis l’île voisine de La Réunion.
Comprendre les défis actuels de Mayotte nécessite de revenir sur son statut de 101e département français et sur les difficultés de son intégration au sein de la République depuis la décolonisation.
Le statut juridique de Mayotte
En 2011, Mayotte est devenue le 101e département français, un statut particulier dans l’organisation territoriale de la République.Département à compétences régionales, Mayotte se distingue juridiquement entant que collectivité à statut particulier, conformément à l’article 72 de laConstitution. Cette singularité la place aux côtés d’entités comme la métropole de Lyon, qui n’est pas un établissement public de coopération intercommunale(EPCI), ou Paris, unique commune française ayant également le statut de département.
Contrairement à la Martinique et à la Guyane, qui ont fusionné leurs conseils généraux et régionaux en 2011 pour former des collectivités territoriales uniques, Mayotte conserve un modèle distinct. Selon l’articleLO6111-1 du Code général des collectivités territoriales, la collectivité départementale de Mayotte a été remplacée par le département de Mayotte, lequel exerce des compétences relevant normalement des régions.
Soumise à l’article 73 de la Constitution, Mayotte est également reconnue comme une région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne en vertu de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE).Toutefois, elle ne fait pas partie de l’espace Schengen, une particularité partagée avec d’autres départements d’outre-mer comme la Guadeloupe, laMartinique, la Guyane et La Réunion. À l’inverse, les collectivités d’outre-mer comme la Polynésie française ou Saint-Pierre-et-Miquelon, régies par l’article74 de la Constitution, ne bénéficient pas de ce statut au sein de l’UE.
Jusqu’en août 2023, Mayotte disposait de deux chefs-lieux : Dzaoudzi, chef-lieu « de jure », et Mamoudzou, chef-lieu « de facto ». Le décret 2023-819 du 24 août 2023 a mis fin à cette dualité en officialisantMamoudzou comme unique chef-lieu de l’île.
Si le cadre juridique est désormais clarifié, l’histoire deMayotte reste complexe, marquée par des relations délicates avec l’archipel desComores et la France. Ces tensions historiques et institutionnelles nourrissent une perception négative de l’île, souvent considérée comme un foyer potentiel de défis majeurs pour la métropole, notamment sur les questions de sécurité et d’immigration.
Histoire de Mayotte depuis la colonisation française
La situation complexe de l'île de Mayotte trouve ses racines dans un enchevêtrement de facteurs historiques, religieux, économiques et juridiques. Inscrite au cœur de l'archipel des Comores, Mayotte partage avec ses voisines une histoire commune qui lie étroitement leur destin.
Sur le plan religieux, la population mahoraise, majoritairement musulmane, se distingue nettement de celle de la France métropolitaine, traditionnellement de confession catholique. Toutefois, l’islam occupe aujourd’hui la deuxième place parmi les confessions religieuses en France, reflétant l’évolution démographique et culturelle du pays.
Par ailleurs, l'islam, qui ne sépare pas le spirituel du temporel, soulève des défis spécifiques à Mayotte, notamment en matière d'état civil, souvent inexistant sur l'île. Cette situation génère des problématiques administratives complexes qui restent au cœur des préoccupations locales.
Lors de la départementalisation de Mayotte, de nombreuses voix politiques se sont élevées pour alerter sur l’état désastreux de l’administration locale. Elles craignaient que le changement de statut juridique et institutionnel n’aggrave une situation déjà marquée par des dysfonctionnements chroniques.
Histoire de Mayotte
La relation entre la France et Mayotte prend racine au milieu duXIXe siècle, lorsque le dernier sultan de l’île, Andriantsoly, vend Mayotte à la France le 25 avril 1841, sous le règne de Louis-Philippe Ier. En échange, le sultan reçoit une rente annuelle versée par l’État français.
Cette période est marquée par l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, notamment en Guadeloupe et en Martinique, en 1848.Toutefois, Mayotte, qui n’était pas une colonie française mais soumise à la traite arabe, voit l’abolition de l’esclavage prononcée plus tôt, le 27 avril1846.
Libérée de l’esclavage, Mayotte devient pour la France un projet de développement économique, à l’image des Antilles. L’objectif est de transformer l’île en un centre sucrier. Cela entraîne la construction de 17usines sucrières et l’arrivée de milliers de travailleurs africains, principalement en provenance du Mozambique, pour relancer la démographie locale.
La présence française s’affirme après la conférence de Berlin(1884-1885), qui redistribue l’Afrique entre les puissances européennes, qui se permettent de s’approprier le territoire africain selon leurs propres règles ;on parle de balkanisation de l’Afrique. À cette occasion, la France consolide son contrôle sur l’ensemble de l’archipel des Comores, formé des « îles deMayotte et dépendances ». Mayotte est alors dotée du statut de colonie, dirigée par un gouverneur, tandis que le reste de l’archipel est placé sous protectorat.
Entre 1886 et 1912, la colonie de Mayotte et dépendances devient une structure administrative qui permet à la France d’asseoir sa domination sur ce territoire stratégique de l’océan Indien. En 1908, l’ensemble de l’archipel des Comores passe sous l’autorité du gouvernement général de Madagascar et dépendances, intégrant ainsi la sphère d’influence française dans l’océanIndien.
Après la Première Guerre mondiale, la Société des Nations (SDN)reconnaît la souveraineté directe de la France sur Mayotte et ses dépendances, ainsi que la légalité de son acquisition antérieure. Elle valide également le statut de protectorat pour les autres îles de l’archipel.
Ces évolutions témoignent de la relation complexe entre Mayotte, les autres îles des Comores et la France. Si la souveraineté française sur l’archipel est consolidée, les différends historiques et institutionnels entre les îles et leurs rapports respectifs avec la métropole demeurent.
Ce n’est qu’en 1946 que le statut institutionnel de Mayotte commence à évoluer, amorçant une nouvelle étape dans son intégration à la République française.
Mise en place d’un Territoire d’outre-mer
A la fin de la Seconde guerre mondiale, des intellectuels comme Aimé Césaire, estiment que pour les anciennes colonies soient pleinement incorporées dans la république française, il faut leur conférer un statut de département d’outre-mer.
C’est ainsi, qu’avec la loi de départementalisation de mars 1946, les Antilles, la Guyane et la Réunion deviennent des départements d’outre-mer. Ce n’est toutefois pas le chemin suivi par Mayotte.
La loi du 9 mai 1946 accorde à l’archipel des Comores une autonomie administrative et financière, renforcée par le décret du 24 septembre1946, qui réorganise l’administration de l’archipel et marque son détachement de Madagascar. Cette dynamique vers plus d’autonomie se poursuit avec le décret du 22 juillet 1957, qui modifie le statut de Territoire d’outre-mer desComores, offrant une autonomie élargie.
Cependant, le statut de Mayotte au sein de l’archipel reste ambigu, reflétant une intégration particulière à la République française. Dès les années 1970, des tensions émergent alors que Mayotte exprime son souhait de se séparer de l’archipel des Comores. Une consultation sur l’indépendance, organisée le 22 décembre 1974 sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, révèle un contraste saisissant : seule Mayotte se prononce majoritairement, à plus de 60 %, pour son maintien au sein de la République française.
Pourquoi Mayotte a-t-elle participé à cette consultation de manière distincte ? La réponse réside dans des enjeux politiques et stratégiques. La France, sous le gouvernement de Jacques Chirac, avait conscience que les autres îles des Comores étaient largement favorables à l’indépendance, tandis que Mayotte souhaitait rester française. Ce choix répondait également à des impératifs géopolitiques : maintenir une présence militaire stratégique dans l’océan Indien.
À la suite de ce vote, les relations entre les Comores et laFrance se détériorent. Le 6 juillet 1975, l’État comorien proclame unilatéralement son indépendance, mais Mayotte reste sous souveraineté française. Cette situation provoque des tensions internationales : la résolution 376 du Conseil de sécurité des Nations Unies condamne la France pour son maintien de Mayotte au sein de la République.
Ce chapitre illustre la complexité des relations entre Mayotte, les autres îles des Comores et la France, mêlant enjeux historiques, politiques et géostratégiques.
Mayotte aujourd’hui
Mayotte, première maternité de France, attire de nombreuses femmes venues des Comores et d’autres pays africains, désireuses d’y accoucher pour que leurs enfants bénéficient du droit du sol et acquièrent ainsi la nationalité française dès leur naissance.
Cette situation a engendré une crise démographique sans précédent, accentuée par des problèmes d’insécurité auxquels les autorités locales peinent à faire face. Selon les données publiées par l’INSEE en 2022, un habitant sur deux, parmi les 300 000 résidents de l’île, est d’origine étrangère. Les projections pour 2050 sont alarmantes : la population de Mayotte pourrait doubler si aucune mesure régalienne n’est mise en œuvre pour maîtriser cette dynamique.
La problématique de l’immigration clandestine et des étrangers en situation irrégulière à Mayotte ne date pas d’hier. Un rapport de l’Assemblée nationale, publié en 2006 (rapport n°2932), dressait déjà un tableau des défis auxquels l’île faisait face, préfigurant les tensions actuelles. Ce document alertait également sur les risques d’une propagation de ces problématiques au territoire métropolitain, si des solutions concrètes n’étaient pas apportées pour limiter les flux migratoires.
Ces dynamiques démographiques et migratoires font de Mayotte un enjeu national et une vitrine des défis que pourrait affronter la France dans les décennies à venir.
Opération WUAMBUSHU
C’est à la suite d’une article paru dans le « Canard Enchaîné » en février 2023, que l’ancien ministre de l’intérieur et des outremers, Gérald Darmanin confirmait l’opération WUAMBUSHU qui signifie en mahorais « opération de reprise en main ».
Cette opération était la réponse de l’exécutif à une forte présence de l’immigration irrégulière sur le sol mahorais. Cependant, on ne peut que dénoncer l’inaction de l’État face à cette situation désastreuse.
L’opération WUAMBUSHU, largement médiatisée, a marqué les esprits en matière de communication politique. Pourtant, dans les faits, elle n’a fait que déplacer les problèmes sans les résoudre, à l’instar de ce qui se passe dans les quartiers gangrénés par le trafic de drogue. Un constat d’autant plus préoccupant dans un contexte de sous-effectif chronique parmi les forces de l’ordre, qui ne peuvent rester indéfiniment déployées à Mayotte.
Si l’intégration des Outre-mer dans la République française est actée juridiquement, la réalité montre que ces territoires souffrent d’un éloignement culturel, géographique et décisionnel par rapport à Paris. La situation désastreuse à Mayotte, comme dans d’autres territoires ultramarins, met en lumière les difficultés du pouvoir central à répondre aux enjeux de ces régions.
Dès 2007, un rapport de l’Assemblée nationale signalait qu’un tiers des habitants de Mayotte était d’origine étrangère. Ce chiffre, déjà préoccupant à l’époque, a grimpé à 50 % selon les données actuelles. Malgré ces alertes, les gouvernements successifs n’ont pas su enrayer la montée de l’immigration irrégulière. La départementalisation de Mayotte en 2011, loin de résoudre les problèmes, a exacerbé les défis en raison du manque criant de moyens pour accompagner ce changement de statut.
Aujourd’hui, Mayotte est l’un des départements les plus criminogènes de France, rivalisant avec la Guadeloupe. Selon l’INSEE, les taux de vols, violences et menaces y sont trois fois plus élevés que sur le territoire hexagonal. Ces chiffres s’inscrivent dans un contexte de précarité extrême : 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec une moitié des habitants disposant de moins de 3 140 euros par an (données 2018).
L’augmentation de la population, nourrie par une immigration importante et un taux de fécondité bien supérieur à celui de l’Hexagone (4,7enfants par femme contre 1,6), accentue les tensions. Avec une croissance démographique de 3,8 % par an, Mayotte affiche la plus forte densité de population parmi les départements français. L’âge médian, de 23 ans contre 41ans dans l’ensemble de la France, fait de l’île le territoire le plus jeune de la République, mais aussi l’un des plus vulnérables.
Cette jeunesse, confrontée à un chômage massif (34 % de la population active), évolue dans un environnement marqué par l’absence d’infrastructures, la prolifération des bidonvilles et un système éducatif déficient. Ces facteurs combinés ont transformé Mayotte en une véritable poudrière sociale.
Lancée en avril 2023, l’opération WUAMBUSHU visait à démanteler les bidonvilles et à lutter contre l’immigration clandestine. Si elle a bénéficié d’une couverture médiatique importante, ses résultats restent mitigés, reflétant les limites des politiques publiques dans un contexte aussi complexe.
Par Jonathan Bevis, Doctorant en Droit public, membre d'Ultimatum
©2024 Ultimatum